mardi 22 mars 2022

Paroles de Pélerins

Je dirai simplement : merci, merci, merci. 

Je reçois les premières grâces de ce pèlerinage : mes garçons très curieux de ce que j'ai vécu ce week-end m'ont criblé de questions et je n'ai jamais eu de conversation sur ma spiritualité aussi longue et aussi poussée avec eux. Grâces soit rendues au Seigneur. 

Juste un petit mot pour vous remercier pour ce super week-end.
Des moments comme celui-ci font beaucoup de bien même si cela passe trop vite.
Merci à toute l’équipe d’organisation.

Un peu tardivement je viens vous remercier pour cette organisation et la bonne ambiance chaleureuse pleine de partage et d'amour. J'ai vécu une journée forte en découvrant "la prière " à travers les diverses possibilités de l'exprimer .
Un grand merci à vous tous qui préparez ceci de longue date! 

Merci à toute cette belle équipe sans qui rien n’eu pu être possible. Cette complémentarité est une immense richesse ! Les chapitres équilibrés et accueillants ont permis ce splendide pèlerinage.

Ce n’est pas un très bon millesime, c’est LE millesime : celui du Grand chelem 🏉 😂.
Plus sérieusement c’est un vrai bonheur que de vivre ces temps de partage, de prières, de chants, de méditation, d’adoration, de convivialité, de marché au milieu de la Création avec 80 Pères de famille !
Et bien sûr un grand Merci à nos Pères spirituels et à tous les Chefs de chapitre sans qui ce Pélé n’aurait pas cette dimension. 

Quel beau Pelé ! Des étoiles pleins les yeux, le cœur apaisé, les batteries rechargées.

Encore une fois, un super pélé.
Un grand merci aux Abbés et à notre Evêque qui nous ont enseignés.



dimanche 19 décembre 2021

  

PELERINAGE DES HOMMES, EPOUX ET PERE DE FAMILLE !

 Il y a près d’un demi-siècle eu lieu le premier pèlerinage d’un père de famille avec un ami dans le but de rendre grâce à notre Seigneur à Cotignac (Var), unique lieu d’apparition de Marie et Joseph ! Depuis l’idée d’un pèlerinage des pères de famille a sillonné dans tous les diocèses de France. En Charente, nous préparons la 10e édition autour de Ruffec !

Le pèlerinage est une démarche de dépouillement et d'effort sur soi, en privilégiant la sobriété du sac à dos et l'autonomie du groupe à une logistique trop "confort".

Naturellement, explicitement, dès le début ce pèlerinage est celui de pères de famille qui viennent confier à Marie et à Joseph leur famille, leur santé, leur travail....  la liste est longue de ce qu’ils portent et dont ils parlent en cours de route, qu’ils échangent entre eux, qu’ils présentent à Dieu en offrant fatigue, chaleur et ampoules de la route.

Mais à quoi ça sert ? A faire une pause, à recaler sa boussole catholique, à recharger ses batteries spirituelles, à préparer Pâques, à adorer un soir, à se confesser une fois, à chanter beaucoup, à marcher un peu, à échanger pas mal, à prier ce qu’il faut, à rigoler autant que de besoin, à toucher l’amour de Dieu, à sentir que l’on est loin d’être seul et puis pour voir notre église en marche ...

Ainsi nous sommes impatients de marcher pendant les 19 et 20 mars 2022.

 

jeudi 18 mars 2021

La grâce du pardon par Monseigneur WINTZER, archevêque de Poitiers,

 Conférence du 14 mars dernier sur le thème de "La grace du pardon".


1)    Le Carême, temps de la conversion

 

 

Chaque année le Carême nous est proposé comme un temps de conversion.

Mais il me semble important de bien préciser ce que veut dire ce mot de conversion.

On le comprend trop souvent comme un effort moral.

Dans ce sens, se convertir, c’est faire des efforts, c’est changer de vie, faire évoluer certains de ses comportements.

 

C’est vrai que tout cela est juste, ce sont bien là des aspects de la conversion.

Mais il ne faudrait pas oublier que nous sommes chrétiens.

Tous les appels de l’Evangile, tous les appels de l'Eglise, sont centrés sur la personne du Christ.

Et ceci est valable pour l’appel à la conversion.

Se convertir c’est donc d'abord et toujours se convertir au Christ, revenir vers le Christ, prendre le Christ pour référence de toute son existence, c’est vouloir marcher sur ses traces.

Et c’est en conséquence de cela, en conséquence de Jésus lui‑même, de sa vie, que l’on est conduit à vouloir changer certains de nos comportements.

N’oublions jamais cette priorité du Seigneur.

 

Sans cela, la conversion risque de devenir un programme éthique, moral ; on mettrait en avant des « valeurs », et non la personne de Jésus Christ.

Dans ce cas, chacun peut risquer d’ériger un programme éthique, moral, en absolu ; avec ce plus grand risque encore d’opposer des visions personnelles, sociales, celles du groupe dont on se sent le plus proche.

La conversion chrétienne est théologale avant d’être morale ; et elle est morale à la mesure où elle est théologale.

 

La Carême est le moment privilégié de la conversion.

Plusieurs moyens nous sont proposés pour vivre le chemin de la conversion.

Parmi ceux-ci, l’Eglise nous en propose un de manière privilégiée : le sacrement de pénitence et de réconciliation.

Justement, si la conversion se vit d’abord au cœur d’un sacrement cela signifie que la conversion n'est pas d’abord un effort moral et de volonté, elle est bien sûr tout cela, mais avant cela, la conversion est un appel de Dieu, et est une grâce de Dieu.

Or le sacrement est ce moment privilégié où Dieu agit, ce moment où nous nous laissons faire par lui, où nous laissons son amour, sa miséricorde agir dans notre existence.

 

Pour mieux saisir le sens de ce sacrement, je distingue trois points, ou trois acteurs, dans le sacrement du pardon : Dieu, l’Eglise, et chacun de nous.

 

Dieu d’abord ! En effet, comme dans la conversion c’est le Christ qui est premier, dans le sacrement du pardon, c’est Dieu qui est le premier.

C’est Dieu qui nous appelle à la conversion, et c’est qui est l’auteur de notre conversion :

« Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu » 2 Co 5, 21.

C’est parce que nous savons qui est Dieu que nous pouvons regretter nos péchés.

Notre Dieu n’est pas un Dieu lointain, un Dieu indifférent, ou encore un Dieu qui réclame la vengeance, mais notre Dieu c’est le Père de Jésus‑Christ.

 

Notre Dieu, il est miséricorde, il est amour, il est pardon.

Demander pardon, vivre le pardon dans le sacrement, c’est donc vivre notre foi ; c’est exprimer notre foi en acte.

C’est parce que je crois que Dieu est pardon, que je lui demande pardon, et que je le fais dans la paix, dans la confiance, et non dans la peur.

Dieu est le premier dans le sacrement aussi parce que c’est lui qui me révèle mon péché.

Non pas en me dénonçant, en m’humiliant, mais en étant ce qu’il est.

Et cela veut dire que se préparer à se confesser, ce n’est pas d'abord s’examiner soi‑même, ce n’est pas chercher en soi‑même ce que l’on va bien pouvoir dire au prêtre ; mais se préparer à se confesser, c'est d’abord et avant tout regarder Dieu, regarder son Fils Jésus dans l’Evangile.

 

C’est en regardant qui est le Christ, en voyant quelle est sa vie, en entendant ses appels, que l’on constate que par bien des aspects de notre propre vie, nous sommes encore bien loin de l’Evangile.

Et devant ce constat, Jésus n’est pas là pour nous écraser la tête, il est là pour nous prendre par la main, pour nous relever, pour nous aider.

 

Dans le sacrement du pardon, il y a d’abord Dieu ; il y a ensuite l’Eglise.

Cette Eglise, le peuple de Dieu, elle n’est pas en dehors de moi, à côté de moi, ou au‑dessus de moi.

C’est plutôt moi qui suis en elle.

C’est moi qui fait partie de ce peuple qui tout entier vit la conversion, qui tout entier marche vers son Seigneur.

L’Eglise, et le prêtre à qui je me confesse, elle ne vient pas m’accuser, mais elle m’accompagne plutôt, elle me soutient.

Et cela justement parce que la conversion, elle n’est pas en dehors d’elle‑même.

C’est l’Eglise tout entière qui est tournée vers Dieu, et c’est en elle, avec elle, que je me tourne vers Dieu, et que je décide de mieux marcher vers lui.

 

Dans le sacrement du pardon, il y a Dieu, il y a l’Eglise, il y a enfin moi‑même.

Mais je découvre alors que je ne suis plus au centre, au centre c’est Dieu ; et je découvre que je ne suis plus seul, je suis avec toute l’Eglise, je suis avec tous mes frères et sœurs chrétiens.

Je me laisse faire par Dieu, je me laisse porter par l’Eglise ; et cela parce que je crois et j’ai confiance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2)    Au cœur de l’Evangile, l’appel à pardonner

 

 

Cette semaine, nous avons lu ces versets du chapitre 18 de l’Evangile selon saint Matthieu, les versets 21 et 22 :

Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? »

Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.

 

Le pardon est-il une question de calcul ? De calcul quant au résultat : si je pardonne, qu’est-ce que cela va me rapporter, ici-bas, voire au ciel ? Ou de calcul arithmétique : Au-delà de 70 fois 7 fois, serait-on dispensé de pardonner ?

L’absurdité de ces questions appellent à, dans ce texte comme de manière générale, ne jamais lire de manière littérale les textes de la Bible.

Vous le savez, le chiffre 7 n’est pas anodin pour la Bible, c’est le chiffre de la perfection, de la totalité : 7 jours de la création, 7 sacrements, c’est aussi 4 + 3, la terre et le ciel, aussi les 7 dons de l’Esprit Saint. Le chiffre 7 n’est pas un chiffre clos, il ouvre à l’infini.

Ainsi, le pardon devient un absolu, pardonner 70 fois 7 fois, ceci veut dire pardonner toujours.

 

Or, ceci est-il possible ? Combien de personnes ne disent-elles pas qu’elles ne peuvent pardonner, que ceci leur est affectivement impossible.

Il existe en effet des offenses si douloureuses que l’on se demande s’il est possible de les pardonner. Des choses dont on a été victime, dont des proches, des faibles ont été victimes : attentat, meurtre, viol… peut-on les pardonner ? Et même, doit-on les pardonner ?

Et voici que le pardon est donné comme le grand commandement de l’Evangile.

 

Il y a des personnes que leur difficulté, leur impossibilité à pardonner, blessent dans leur vie de foi, dans leur relation avec Dieu. Des personnes m’ont dit qu’elles souffraient lorsqu’elles disent le Notre Père, jusqu’à parfois ne pouvoir le dire.

Vous le comprenez, ceci concerne la phrase : « pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ». Il m’est alors arrivé de leur conseiller de dire plutôt, lorsqu’elles prient seules : « Pardonne-nous nos offenses, comme j’essaie de pardonner, comme je souhaite pardonner ». N’est-ce pas cela qui compte ? Espérer le pardon, croire que le pardon est possible ? Sera possible ? Surtout, penser que la capacité à pardonner peut m’être donnée par Dieu, s’il n’est pas possible pour moi de le vivre. Soyons-en certains, lorsque nous croyons impossible quelque chose, elle risque bien de le demeurer.

 

Pourtant, c’est vrai, le pardon peut être difficile.

Parfois c’est pour des raisons psychologiques, morales. Nous pensons que telle offense est trop grave, pour soi, pour une personne que l’on a offensée ; rien ne pourra jamais l’effacer.

Ici, le danger, c’est de s’ériger en juge unique de la chose.

Pardonner commence souvent par se parler, par aller voir la personne avec laquelle on a un différend. Ce sont les versets qui précèdent ceux que je commente : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. » Matthieu 18, 15.

Combien de choses, parfois toutes petites, pourrissent la vie, simplement parce que deux personnes n’ont pas su se parler.

Parler, c’est parler les uns avec les autres, mais c’est aussi demander conseil, en particulier comme on peut le faire dans le sacrement de pénitence.

Le prêtre qui confesse peut aider à mieux mesurer la gravité ou la non-gravité de telle ou telle chose, au-delà du seul poids psychologique, affectif, qui peut peser sur les épaules et sur le cœur.

 

C’est vrai, d’autres fois, la faute peut être très grave, je parlais de meurtre, de viol ; pensons aussi à la Shoah ou bien au génocide au Rwanda. Peut-on pardonner cela ? Et même, doit-on pardonner ?  Le pardon ne devient-il pas alors une faiblesse, voire une complicité ?

On sait qu’il a pu en être ainsi ; il y a des criminels de guerre qui ont échappé à la justice avec l’aide de catholiques, et même d’évêques ! Parfois parce que ces religieux partageaient l’idéologie des criminels, d’autres fois parce qu’on s’appuyait sur l’appel au pardon pour exfiltrer des criminels, on pourra même alors parler de droit d’asile.

Il faut dire tout simplement que le pardon ne dispense pas de la justice, ne peut se substituer à la justice. Quelqu’un qui a commis une faute qu’interdit la Loi doit en répondre devant la justice. De même, dans le sacrement du pardon, l’absolution ne consiste pas à dire qu’il n’y a pas de faute, qu’il n’y aurait pas à y apporter une réparation, lorsque ceci est possible. L’absolution permet de se relever, de repartir, de ne pas rester enfermé dans la culpabilité, jamais de nier le péché.

 

Donc, le pardon ne s’oppose pas à la justice, ne met pas à l’abri de la justice.

Mais le pardon n’est pas non plus l’oubli.

Sans entretenir sa mémoire de manière excessive, il ne faut pas oublier le mal, les fautes.

Le mal que l’on a pu commettre, ceci nous rappelle nos failles, nos fragilités, peut aussi nous permettre de ne pas nous retrouver dans des situations où nous pourrions être en danger, en fragilité.

C’est plutôt le mal qui nous a été fait qu’il faut demander la grâce d’oublier, sinon, on risque de vivre perpétuellement dans le ressentiment vis-à-vis de telle ou telle personne.

Ceci ne construit rien et empoisonne la vie.

 

Il y a pourtant un mal qu’il ne faut pas oublier, ce sont les grands crimes de l’histoire, là où l’humanité a été détruite, dans le cœur des criminels, dans la vie de leurs victimes.

Bien entendu, je pense au nazisme et à la Shoah.

Le mois de juillet dernier, je suis allé en Pologne, et suis retourné à Auschwitz, c’était pour moi la troisième fois que je voyais ce camp nazi.

Je m’y étais déjà rendu il y a plus de trente ans.

Or, j’ai été gêné par ma visite de cette année, en 2020.

On était constitués en groupes, avec un guide et des écouteurs, et un commentaire permanent.

Il y a 30 ans, on visitait seul le camp, en silence. Les lieux parlent d’eux-mêmes, le silence est bien plus fort qu’un commentaire.

Pourtant, je me suis dit que les plus jeunes sont de plus en plus éloignés des événements, ils peuvent ne pas saisir leur sens, leur motif.

Les choses ont besoin d’être dites, expliquées, au risque de l’oubli, au risque de résurgences d’antisémitisme.

 

Le pardon n’est pas l’oubli de l’histoire, la nôtre, personnelle, celle du monde.

Mais le pardon permet qu’il y ait un au-delà de la faute, si l’on passe bien entendu par la justice.

Croyons en Dieu, croyons au Dieu des miséricordes, au Dieu qui pardonne, qui donne la force de pardonner, qui permet d’espérer, de croire, que le pardon est toujours possible, sera un jour possible.

 

3)    Le sacrement de pénitence et de réconciliation

 

 

a)     Quelques généralités

 

 

Le mal est une réalité rencontrée par tout homme, et aussi présente dans toutes les religions. La particularité du judaïsme et du christianisme réside dans la conviction que c'est Dieu qui est libérateur, miséricordieux ; c'est lui qui combat le mal et délivre le pécheur de la culpabilité.

 

Dans sa prédication, Jésus pose deux conditions à cette œuvre de libération :

-       La foi : l'homme est conscient de ses limites et de ses impuissances, et s'en remet à Dieu confessé comme miséricordieux et rédempteur, comme tout-puissant.

-       Le repentir : il est un des fruits de cette foi en la puissance de Dieu et en son amour ; le refus de reconnaître une quelconque fatalité au mal.

 

La pénitence, et son expression dans le sacrement du pardon, sont liées à la foi en Jésus-Christ, à la reconnaissance de la portée de son acte de salut : Jésus est mort et ressuscité pour que nous ayons la vie.

Plus précisément, la délivrance des péchés et le pardon sont des fruits de l'action de l'Esprit Saint, l'Esprit reçu par les Apôtres au soir de la résurrection en vue de la rémission des péchés :

Jean 20, 21-23 : « Jésus dit à ses Apôtres : ‘’La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie.’’ Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : ‘’Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, il leurs seront retenus.’’ »

Dans ce don et cette mission, Jésus institue la mission de l'Eglise, des apôtres et de leurs successeurs : ils doivent remettre les péchés.

 

 

b)    Les principales données scripturaires

 

 

- Marc 2, 1-12 : la guérison du paralytique de Capharnaüm.

 

- Matthieu 16, 13-20 : le pouvoir de lier et de délier confié à Pierre.

 

- Matthieu 18, 15-18 : ce pouvoir est confié à toute l'Eglise.

 

- Jean 20, 19-23 : le don de l'Esprit et rémission des péchés.

 

Lorsque Jésus confie le pouvoir de "lier" et de "délier", il faut comprendre de manière juste le sens de ces verbes.

Dans l'interprétation courante, cela veut dire "retenir" et "remettre" ; or lier et délier ne sont pas les deux membres d'une alternative, ce sont les deux phases d'un seul et même acte, c'est-à-dire de la réaction de l'Eglise face aux péchés de ses membres : elle "lie" pour être à même de "délier".

En liant, l'Eglise "met au ban", ce qui ne veut pas dire qu'elle excommunie, mais qu'elle dévoile le péché, l'identifie, pour être à même d'en délivrer le pécheur.

Sans reconnaissance de son péché, sans identification du mal, comment reconnaître ce dont on attend d'être délivré ?

D'où la nécessité spirituelle qu'il y a toujours à connaître "son" péché, à dépasser la liste générale pour une vraie lucidité spirituelle.

Cette tâche est l'œuvre de l'Esprit Saint.

« Si tu connaissais tes péchés, tu perdrais cœur ; mais je te les révèle à mesure que je t'en délivre » Blaise Pascal, le Mystère de Jésus.

 

Le pouvoir de lier et de délier s'entend sur la terre et dans le ciel.

En "liant sur terre", au plan public, c'est-à-dire sacramentel (public ne s'oppose pas ici à privé), l'Eglise rend officiellement saisissable la distance établie par la faute non seulement entre l'homme et Dieu, mais encore entre le Corps mystique et son membre pécheur.

Au moment où l'Eglise lui accorde sa paix à elle, elle lui fait don de la paix de Dieu. 

 

 

c)     Quelques données théologiques et leurs fruits spirituels

 

 

Face aux réformateurs, le concile de Trente réaffirme l'institution de ce sacrement et sa nécessité :

« Si tous les régénérés avaient assez de gratitude envers Dieu pour garder avec constance la justice qu’ils ont reçue au baptême par sa bienveillance et par sa grâce, il n’aurait pas été nécessaire d’instituer un sacrement distinct du baptême pour la rémission des péchés. Mais ‘’parce que Dieu est riche en miséricorde’’ (Ep 2, 4), ‘’sait de quoi nous sommes faits’’ (Ps 103, 14), il a aussi accordé un remède qui rend la vie pour ceux qui se sont livrés ensuite à l’esclavage du péché et au pouvoir du démon : par le sacrement de pénitence, le bienfait de la mort du Christ est appliqué à ceux qui sont tombés après le baptême » D.Z. 1668.

 

Cependant, c'est bien sûr le baptême qui est don de grâce et rémission de tous les péchés.

Mais le Seigneur a institué principalement le sacrement de pénitence quand, ressuscité des morts, il souffla sur ses disciples en disant : « Recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez ; ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez » (Jn 20, 22).

« Les Pères, d'un consentement unanime ont toujours compris que, par cette action insigne et ces paroles si claires, le pouvoir de remettre et de retenir les péchés, destiné à réconcilier les fidèles tombés après le baptême, a été communiqué aux apôtres et à leurs successeurs légitimes » D.Z. 1670.

 

Trente précise aussi la structure interne du sacrement en distinguant :

-       Les actes du pénitent (contrition, confession et satisfaction).

-       Les actes de l'Eglise (la parole d'absolution du prêtre).

 

Dans ce vocabulaire, Trente reprend les enseignements de saint Thomas d'Aquin. Pour celui-ci, le signe sacramentel est constitué :

-       Des actes du pénitent (c'est la "matière" du sacrement).

-       De l'absolution du prêtre (c'en est la "forme").

Or saint Thomas est attentif à définir l'absolution comme faisant partie du "tout" du signe sacramentel, mais elle en est l'élément déterminant, le sceau sans lequel les actes du pénitent sont dépourvus de sens.

Pour saint Thomas, qui reprend ses prédécesseurs, l'activité personnelle du pénitent contribue efficacement à la rémission des péchés, elle n'est pas qu'une seule condition extrinsèque.

La grâce n'est pas contenue dans la seule formule d'absolution. Dans l'œuvre du salut, le personnel et le sacramentel agissent ensemble. Le pénitent n'est pas passif, il célèbre activement, en même temps que le prêtre, le mystère du pardon.

 

Mais ce que dit le concile de Trente de la "contrition" est trop exclusivement négatif : douleur de l'âme, détestation du péché commis et résolution de ne plus pécher à l'avenir. Trente ne souligne pas assez la dimension positive de l'amour de Dieu, de ce que l'Esprit Saint produit dans le cœur de l'homme : la confession est d'abord confession du salut et de la grâce.

 

Trente distingue aussi l'attrition de la contrition (D.Z. 1677), et cela vient corriger les réserves qui viennent d'être formulées : la contrition parfaite se rapporte à l'amour pour Dieu qui aime et sauve, alors que l'attrition est surtout le fruit de la crainte du châtiment, voire de la honte ; cependant même cette contrition imparfaite ne coupe pas de la miséricorde de Dieu (cf. l'enfant prodigue).

 

Quant aux fruits du sacrement, Trente les voit dans la réconciliation avec Dieu suivie chez les personnes pieuses, précise le concile, de la paix et de la tranquillité de la conscience, qu'accompagne une forte consolation spirituelle.  (F.C. 822).

 

Enfin, parmi les éléments du signe sacramentel, il faut aussi situer la satisfaction, c'est-à-dire la "pénitence", en fait, toute une vie pénitente et convertie.

La liturgie du sacrement ne se termine pas à la sortie du confessionnal, elle doit s'exprimer dans la vie toute entière.

 

 

d)    La dimension ecclésiale du péché et de la pénitence

 

 

Vatican II a voulu comprendre et souligner que le sacrement a aussi une dimension ecclésiale :

Ceux qui s'approchent du sacrement de pénitence y reçoivent de la miséricorde de Dieu le pardon de l'offense qu'ils lui ont faite et, du même coup, ils sont réconciliés avec l'Eglise que leur péché a blessée et qui, par la charité, l'exemple et les prières, travaille à leur conversion. Cf. Lumen Gentium 11, 2.

Le fond du péché, c'est de contrarier la volonté de Dieu qui veut se communiquer toujours davantage à l'homme ; le péché, c'est de s'opposer à notre vocation qui est de recevoir la grâce, et de la recevoir de manière active.

Or, c'est comme membre de l'Eglise, cette Eglise dont il est devenu le membre vivant par son Initiation, que l'homme rencontre le Dieu Saint.

S'ouvrant ou non à l'œuvre en lui de la grâce, l'homme affecte d'une manière ou d'une autre sa relation à l'Eglise.

 

Par son existence, le chrétien proclame ou contredit son appartenance au peuple saint, embellit ou défigure ce Corps du Christ dont il est le membre.

Le chrétien reçoit la sainteté de l'Eglise (celle de l'Esprit), mais doit aussi communiquer à l'Eglise sa propre sainteté personnelle (cf. la "communion des saints").

Le « tibi soli peccavi » du psaume 50 ne peut être compris de manière individualiste, tout au moins dans l'économie chrétienne.

Le "seul" du Dieu offensé embrasse tout le Corps mystique du Christ, l'Eglise dans son ensemble.

C'est cet aspect ecclésiologique du péché qui permet de comprendre la discipline pénitentielle de l'Eglise ancienne : consciente d'être elle-même offensée par le péché, elle réagissait publiquement contre le pécheur.

 

Même si cela concerne surtout les péchés graves, les péchés véniels contribuent aussi à affadir l'Eglise et sa vie.

De ce fait, superficialité, tiédeur, égoïsmes, esprit de chicane, défaut de prière et de pénitence, constituent aussi, à leur mesure, des offenses contre l'Eglise.

Ainsi, pour un chrétien, le désir authentique de voir disparaître le péché du sein de l'Eglise doit se traduire par la confession de ses propres défaillances.

 

Il est vrai que celui qui commet un péché véniel ne se sépare pas de la vie intime de l'Eglise, mais il empêche le plein épanouissement de son principe vital ; il ne renonce pas à la charité mais il en néglige la perfection et la ferveur (cf. Ia IIae q.89 a.1). Pour saint Thomas, la charité est ici comprise comme le mouvement même de l'amour divin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4)    Pardonner, est-ce juger ?

 

 

En premier lieu, il faut avoir conscience ou reprendre conscience, que la réalité est trop grande, trop riche, trop complexe, pour qu’un seul jugement puisse en rendre compte totalement.

Les rencontres avec les autres nous conduisent à accepter un « non savoir » radical quand il s’agit d’approcher autrui ; c’est le seul chemin qui ouvre à une vraie rencontre, au-delà de nos a priori.

Certains d’entre nous peuvent aussi être prisonniers du besoin, presque compulsif, de critiquer autrui, de la juger.

Cependant, lorsque nous sommes face à ceux que nous jugeons, physiquement, nous comprenons nos excès.

Et puis, noircir autrui, c’est nous manifester, ou nous prétendre, comme plus blanc ; il faut alors faire retour sur soi : je suis de la même espèce que celui que je juge.

 

Mais nous peinons à reconnaître que nous jugeons : nous croyons sincèrement voir la réalité telle qu’elle est, les autres tels qu’ils sont.

Notre désir de juger, pour Lytta Basset, est la trace de ce sentiment d’être jugé, il est un réflexe défensif : plutôt de nous laisser juger, nous jugeons : la meilleure défense, c’est l’attaque !

Une des variantes du besoin de juger c’est le besoin de changer autrui, signe de notre impuissance à nous juger nous-même.

 

« Qui ne juge pas, ne sera pas jugé » : sommes-nous de ceux qu’on ne juge pas, qu’on acquitte aisément, à qui l’on donne amitié et soutien ?

« Le seul levier qui peut nous faire bouger, c’est la miséricorde de Dieu à notre égard. En effet, en proie à ce mal-être et à cette dépréciation de nous-même liés à notre hargne impuissante à l’égard d’autrui, nous pouvons entendre la parole du Christ ‘’devenez miséricordieux comme votre Père’’ en l’inversant : comme votre Père vous accueille tel que vous êtes, ainsi accueillez les autres tels qu’ils sont » p. 40.

Notre besoin de juger est lié au type de regard que nous portons sur nous-même. Ainsi, une hypertrophie du besoin de juger signale souvent l’occultation d’une profonde blessure.

Juger, c’est aussi mettre autrui à distance et ne pas s’exposer à de nouvelles blessures en plus des anciennes non cicatrisées.

 

La rencontre de Jésus et de la femme adultère (Jean 8, 1-12) nous délivre du besoin de juger et de la peur qui nous y conduit.

Pour Lytta Basset, « l’épisode de la femme adultère occupe chez Jean la place prise par le récit de Gethsémani dans les évangiles synoptiques. A travers l’histoire de cette femme terrifiée se fait jour la peur de Jésus face à sa propre mort » p. 51.

Le verset 1 montre Jésus se rendant au mont des Oliviers.

 

Jean 8 est une tentation pour Jésus ; les scribes prennent la figure du Tentateur : « Ils disaient cela en le tentant, pour qu’ils aient de quoi l’accuser » Jn 8, 6.

« Dans la Bible, la tentation affecte la relation à l’être plus que la morale, elle est ontologique avant d’être éthique. Le danger n’est pas d’abord de mal agir mais de mal se situer, face à Dieu et face aux autres. On est tenté de prendre la place de Dieu » p. 72.

Or, « moi non plus je ne te condamne pas », je ne prends pas cette place qui est à Dieu seul : Jésus refuse de succomber à cette tentation de « tout » trouver en lui-même.

« Jésus ne cherchera donc jamais à prouver qu’il est fils de Dieu car ce serait prendre la place de Dieu. C’est le renversement le plus radical de sa vie » p. 75.

Jésus affirme que son jugement est vrai, non parce qu’il est vrai en lui-même, mais parce que ce jugement est prononcé au cœur de la relation qui l’unit au Père.

« Comme lui, nous disposons d’un seul critère pour savoir si nos jugements sont conformes à la vérité : lorsque nous prenons position, le faisons-nous en tête à tête avec nous-même, ou avec le sentiment d’être accompagné, d’être ‘’avec-le-Père-qui-nous-envoie’’ ? »  p. 59.

 

Jésus répond aux scribes sans une seule parole blessante :

« C’est en y voyant clair en lui-même, dans sa propre vie, que Jésus a pu être lumière pour autrui et donner envie de le suivre sur un chemin libéré à la fois de la peur et du besoin de juger » p. 81.

Jésus écrit sur le sol : « en cet homme au ras du sol, Dieu s’incline jusque là où vivent et souffrent les humains » p.90.

La parole de Jésus va rendre vie et mouvement à celles et ceux qui étaient figés dans l’immobilité : elle « au milieu », eux l’encerclant.

« L’Evangile, dans son ensemble, n’a pas pour visée de faire la morale. La parole de Jésus, ici comme ailleurs, suscite et encourage chez ses interlocuteurs une prise de conscience de leurs propres pensées et de leurs propres actes : leur être profond est-il en accord avec ce qu’ils font ? N’y a-t-il pas contradiction entre ce qu’ils disent et font d’une part, et ce qu’ils sont profondément d’autre part ? »  p. 113.

 

Lytta BASSET, Moi, je ne juge personne, L’Evangile au-delà de la morale, Albin Michel / Labor et Fides, 1998.

 

 

5)    Pardonner pour être délivré du mal

 

 

« Délivre-nous du mal » demandons-nous dans le Notre Père ; c’est aussi la demande qui est au cœur du sacrement du pardon. Mais quel est donc ce mal ?

« Nous choisissons de définir le mal non comme ce qui est mal mais comme ce qui fait mal.

En effet, nous ne disposons d’aucun critère pour définir le mal en soi ; il n’est pas rare que ‘’mal’’ et ‘’bien’’ deviennent des étiquettes interchangeables au gré des époques, des milieux, des modes de pensée, ses systèmes de croyance […]

Pour la créature humaine, est mal ce qui fait mal. Nul ne s’aurait s’ériger en juge du ‘’mal’’ de l’autre sans usurper la place de Dieu » p. 93.

 

Jusqu’à Job, on dit que le mal n’était apparu que comme une conséquence : c’est par sa faute que l’homme a perdu le paradis primitif d’un monde ignorant du mal. Avec Job, le mal apparaît comme déjà là, sans raison.

Or, dès le Genèse, le mal est présent, le serpent tente Adam et Eve.

En tout cas, nous voilà délivré de la faute comme seule source du mal, et de la culpabilité qui suit un tel diagnostic.

 

Il ne faut pas identifier le mal à la faute. Lorsqu’il en est ainsi, il faut un coupable, et à défaut de Dieu, soit que l’on veut disculper du mal, soit que l’on a évacué du champ des possibles, seul l’homme est reconnu coupable de la faute, et par là se trouve enfermé dans la culpabilité. Le mal n’est pas la faute ; même si la faute exprime la part que l’homme prend au mal, le mal le déborde.

Le sacrement du pardon libère de cela : il nous fait entendre une parole d’amour de Dieu pour nous, alors que le sentiment de la faute nous croyait impossible une telle parole : le pardon distingue la faute du mal, brise l’identification entre soi et le mal, rend en capacité d’agir et de vivre.

Pour Jacques Pohier, la culpabilité est aussi une manière de contraindre l’autre à aimer. Ainsi de l’enfant qui opère une tentative de séduction et oblige celui ou celle à qui est faite la déclaration de culpabilité à exprimer son pardon, ainsi du fils prodigue qui veut contraindre son père à le reprendre chez lui (cf. p. 182).

 

Nous avons certainement à nous libérer d’une image du paradis terrestre comme le lieu de l’absence du mal. Pour l’exégète von Rad, le récit de Genèse 2-3 « laisse entrevoir que le véritable sens de la vie paradisiaque est l’obéissance à Dieu, et non la jouissance e l’absence de tout mal » La Genèse, p. 79.

Genèse 1 voudra par la suite présenter une création « bonne et très bonne » contre le caractère pessimiste et dramatique des chapitres 2 et 3.

« Tout cela nous conduit à adopter la grille de lecture suivante : le mystère de la vie et le mystère du mal sont contemporains. D’où la fusion des deux arbres, tous deux ‘’au centre du jardin’’ (l’arbre de Vie et l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal). C’est ce mystère qui justifie le premier commandement donné à l’humanité : tu ne maîtriseras par le Bien et le Mal, tu renonceras à en connaître l’origine, la fin et la nature, sinon tu mettras en danger ta propre vie […]

Cependant, autant les commentateurs juifs que chrétiens n’ont cessé au cours des siècles de transgresser le premier commandement en prétendant connaître le Mal commis par Adam et Eve. On a mis le Mal dans la sexualité, ou dans l’orgueil, ou dans la femme […]

Ce faisant, on continue à manger du fruit défendu, en prétendant décider de ce qu’est le Bien et de ce qu’est le Mal. C’est exactement en cela que consiste la faute des premiers humains » p. 205-206.

 

Le texte de la Genèse ne donne alors aucune explication à l’origine du mal, le mal est déjà là, son origine reste un mystère complet.

« La transgression de l’interdit concernant le Bien et le Mal met avant tout autrui en danger : dès que l’on prétend connaître le Bien et le Mal, l’autre n’est plus autre mais il est réduit au Mal que l’on croit cerner et que l’on projette sur lui (Gn 3, 12). Ou encore, on impose à l’autre ce qu’on a décidé être le Bien, et il perd à la fois sa liberté et son altérité (Gn 3, 6) » p. 221.

 

« Si, en Gn 2-3, les récits de la création et du ‘’drame’’ sont intimement liés, c’est qu’ils disent la même impossibilité. La quête de l’origine du Mal est autant vouée à l’échec que la quête de l’origine de la vie – c’est pourquoi le Christ s’en abstiendra constamment (cf. Jn 9). Cela tient au fait que l’on ne peut connaître l’origine de la vie sans la tuer, et que l’on ne peut connaître le Mal sans en ‘’manger’’. Dès que l’on prétend mettre la main dessus, la vie s’échappe et le mal devient une abstraction et non plus ce qui fait mal » p. 255.

On ne penser que ce qui est, pour cela, on faut du Bien et du Mal une abstraction. Or, le Bien le Mal ne sont pas, ils adviennent (Antoine Vergote).

 

« Il n’est pas naturel de pardonner. Un pardon facile a toutes les chances de ne pas être authentique. Il faut ma morsure récurrente du souvenir du mal subi, pour que l’on s’aperçoive avec étonnement que l’on n’avait pas pardonné, ou pas totalement, pas ‘’de tout son cœur’’…

Imposer ou s’imposer le pardon, c’est s’imaginer que l’on peut avoir la fleur sans le terreau.

Nul ne peut pardonner sans creuser profond dans le terreau noir de son désespoir et de son refus de pardonner le mal subi. Si la fleur du pardon semble éclore miraculeusement un beau matin, il reste qu’une lente croissante a préludé à son éclosion » p. 437.

 

« Pardonner n’est pas oublier mais transfigurer le souvenir du mal. ‘’La mémoire du mal, c’est le nom qu’on donne en russe à la rancune’’ (Vladimir Jankélévitch, le Pardon, p. 29, note 1). Or l’un des préalables que nous décelons au pardon est une mémoire du mal qui ne soit pas rancune » p. 441.

« La mémoire non rancunière du mal subi est possible si, et seulement si, l’humain offensé n’en fait plus l’expérience et qu’il accepte d’en intégrer le souvenir comme quelque chose d’humanisable : jamais il ne reniera son expérience, c’est bien dans un abîme qu’il a été plongé ; mais pour l’intégrer dans sa mémoire vivante, il ne peut faire autrement que de ramener le mal subi à l’échelle de sa propre humanité, donc de son existence relative.

Il lui faut humaniser, apprivoiser, assimiler ce qui lui est arrivé. Il y a dans ce processus un renoncement non au souvenir de l’expérience abyssale, mais à l’absolu du mal comme norme définitive de toute l’existence.

‘’Il y a une seule chose que Dieu lui-même ne sait pas faire (…) : faire que les choses n’aient jamais été faites’’ V. Jankélévitch, La mauvaise conscience, p. 82 » p. 442.

 

« Nul ne peut accéder à son pouvoir de pardonner en faisant l’économie de la révolte. C’est pourquoi tant de démarches de pardon se révèlent infructueuses. On ne dira jamais assez qu’il n’est pas naturel de pardonner : le Christ est venu parce que la morale naturelle interdit de pardonner. Il y a une irrationalité du pardon, par conséquent une immoralité du pardon » p. 445.

 

« ‘’Nous pardonnons parce que nous n’avons aucun droit de juger ; et nous n’avons pas le droit de juger parce que nous n’avons aucun moyen de voir ce qu’il y a dans le cœur (…) Ce qu’il y a de fondamental dans l’enseignement de Jésus, c’est l’interdiction radicale et absolue de juger quiconque de quelque manière que ce soit’’ G. Soares-Prabhu […]

Le deuil de la toute-puissance du connaître est donc, d’emblée, traversé des promesses d’une vie relationnelle en devenir :

‘’Pardonner, c’est accepter ce qui est arrivé comme du passé, et non comme le dernier mot sur autrui ou sur soi’’ R. Studzinski » p. 447-448.

 

« Le pouvoir de pardonner s’enracine dans la liberté d’accepter ou non ce qui a été […]

En acceptant ce qui a été (y compris l’impuissance totale devant le mal subi), on va pouvoir (re)trouver le maximum de liberté et accéder à une qualité de vie, une puissance de vie quasiment divines […]

L’acceptation de la vie et du mal comme un tout indivisible, c’est le message de ‘’la résurrection à travers et avec la croix’’ » p. 457-458.

 

« Le pardon n’est pas ce qui efface le mal, ce qui élimine les séquelles. Il est encore d’un Autre ordre. Il garde le souvenir vivant du mal, mais transfiguré dans la lumière de cet Ailleurs qui l’englobe de son Sens inconnaissable […] Le pardon n’est pas l’oubli. Au contraire il permet à l’offensé de garder vivante la mémoire du mal subi, mais sans l’enfermer dedans. Une mémoire habitée, inclusive, une mémoire qui, en englobant l’offensant, ouvre la prison intérieure de l’offensé sur un Ailleurs qui les inclut tous » p. 464.

 

Lytta BASSET, Le pardon originel, De l’abîme du mal au pouvoir de pardonner, Labor et Fides, 1994.